Justine, le livre et interview

Quel vent de folie s’est abattu sur ma boite crânienne le jour où j’ai pris le large
pour exhumer l’œuvre d’un paria ? N’est-ce pas naviguer dans les eaux troubles de notre
patrimoine littéraire, n’est-ce pas sortir de l’oubli un trésor que beaucoup voudraient
oublier ?

Les missions impossibles ne le sont que par leur nom et ce défi m'a interpelé, m’a
appelé, m'a paru comme une évidence, j’étais convaincu que l’importance du message à
délivrer était à la hauteur des risques. Je me lance donc à l’assaut de ce penseur, de cet
écrivaillon, de ce pornographe inhumain, de ce génie de la pensée diabolique. Je me
plonge dans les méandres de ces quelques écrits que j’ai réussi à me procurer, en cachette,
presque honteusement. Parce que, de nos jours, à l’heure où la télévision et internet nous
inondent d’images nauséabondes, deux siècles après sa mort, lire Sade prouverait encore
votre immoralité et lui garantirait son immortalité.
Ce texte n’a pas la prétention de vous faire aimer le marquis de Sade, mais de vous
faire découvrir, derrière l’homme tant décrié, la justesse de certains de ses propos.

 

L’interview

 

Pourquoi s’intéresser à Sade et lui consacrer cette appropriation ?

Ma première lecture de Sade, la philosophie dans le boudoir, fut dictée par une couverture prometteuse où une jeune femme nue était installée sur un boudoir. Je ne connaissais pas cet auteur, mais ce livre, à l’inverse des magazines pornographiques, était moins cher et placé à une hauteur qui me permettait de l’atteindre sans faire appel au libraire.

Je fus subjugué par le contenu des cent premières pages. Le divin Marquis racontait à l’ado que j’étais tout ce qu’il était inimaginable de penser, et surtout de dire. Je dois cependant avouer que les répétitions m’ont fait refermer le livre bien avant la fin. La première lecture n’est jamais la bonne. Car la curiosité littéraire ne peut être comblée face à cette écriture stylistiquement peu travaillée.

 

Dans quel genre classer Sade ?

Sade s’inscrivait parfaitement dans l’ère du Siècle des Lumières où l’homme est au centre des préoccupations, où les penseurs… pensent et les écrivains aussi. Dans cette période chargée culturellement, cette période qui nous laisse de grands noms tels Voltaire, Rousseau, Diderot, Beaumarchais que personne ne peut ignorer. Sade, comme ses contemporains, s’est lancé dans l’analyse et la description de l’homme, de ses comportements, de ses travers et, plus particulièrement des vices.

Ce qui choque avant tout chez le Marquis, c’est cette constance à faire triompher le vice sur la vertu. Il a été voué aux gémonies pour avoir observé un peu mieux ou un peu plus les travers des hommes. Sade ne s’est pas contenté de décrire ce qu’il voyait, il pousse son analyse plus loin en décrivant également les fantasmes, le fruit de l’imagination perverse des hommes.

 

Pourquoi Sade est-il toujours considéré deux siècles après sa mort comme un monstre ?

L’erreur de Sade, si erreur il y a,  est d’avoir romancé ses concepts philosophiques, d’avoir utilisé des personnages pour dire et redire, pour propager les pires atrocités, pour les rendre acceptables, voire excusables en justifiant les raisons de tous ces crimes. C’est dans cet aspect que Sade peut être comparé à un philosophe. Il a analysé les travers des hommes, les a décortiqués et resservis à travers ses personnages. Ce qui choque dans son œuvre c’est la place prépondérante laissée au mal. Certains ont avancé que Sade était le mal lui-même, venant justifier leur idée en mentionnant les diverses accusations, poursuites et emprisonnements que le marquis a vécu.

Cela suppose donc que toute personne qui décrit le mal serait le mal ou, tout au moins, pousserait au mal en l’excusant. Cette théorie me semble bien bancale ! Sade est philosophe, et, à ce titre il s’attache à décrire les aspects abjects de l’homme pour mener à une réflexion sur ceux-ci. Je ne crois pas qu’il excuse le mal, je pense, au contraire, qu’en le décrivant et en le théorisant, il tente de le comprendre et même, peut-être, de le combattre.

 

 

Sade est-il un monstre ou un génie ?

Qu’est-ce qu’un monstre ? Est-ce une personne qui a tué des millions d’humains pour gagner un bout de terre, augmenter son pouvoir, exterminer une race et s’enrichir ? Est-ce un chauffeur ivre écrasant une famille sur le bord d’une autoroute ? Est-ce le PDG d’une société pétrolière regardant un de ses bateaux couler en pleine mer ? Est-ce un homme qui bat sa femme ? Est-ce un État qui condamne à mort un homme ? Est-ce une personne qui se délocalise pour assouvir ses envies sexuelles ? 

Sade, s’est toujours défendu d’être un criminel « Oui, je suis libertin, j'ai conçu tout ce qu'on peut concevoir dans ce genre-là, mais je n'ai sûrement pas fait tout ce que j'ai conçu et ne le ferai sûrement jamais. Je suis un libertin, mais je ne suis pas un criminel ni un mertrier.

Qu’il ait été un monstre ou pas, cela ne change en rien le message qu’il nous délivre. La question est que peuvent bien cacher ces polémiques ?

De la réalité à la fiction, s’en allant chercher au tréfonds de nos âmes le mal qui sommeille en nous, Sade nous interpelle, nous remet en question, nous choque à chaque mot. Il nous rappelle que le mal est en nous et qu’à tout moment, il peut reprendre sa place.

 

 

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